angle de vue, angles de vies

Marie-Anne nous invite à lire "Le roman des voyageuses françaises" (1800 - 1900) de Françoise Lapeyre

Le XIXème siècle est celui de la colonisation et de l’évangélisation : des milliers de françaises partent. Certaines, souvent mariées à des géologues, ethnologues ou anthropologues deviennent «femmes de science », observant, d’un autre œil, la société dans laquelle elles choisissent de s’immerger plutôt que de prendre le thé.

D’autres, veuves ou mariées, pauvres ou riches, partent par soif d’aventures. Elles parcourent des milliers de kilomètres comme Louise Bourdonnaud (deux cents mille en quatre voyages). Elles risquent leur vie : Charlotte-Adélaïde Dard est sur le radeau de la Méduse en 1816, Fanny Loviot se retrouve prisonnière des pirates chinois à plusieurs reprises, Jeanne Groussard rêve de l’Eldorado et « revolver chargé à six coups, pendu à droite de ma ceinture, cartouches à gauche » connaît les 45° le jour et les -18 la nuit, les ouragans, la faim...

D’autres encore sont militantes de la cause féminine comme Olympe Audouard, Flora Tristan ou Hubertine Auclert et témoignent de la condition des femmes dans le monde. Il y a aussi Anne-Marie Javouhey, fondatrice d’un ordre religieux qui va s’occuper des esclaves, Anne Gaël qui s’engage pour l’accès des femmes algériennes aux diplômes et aux fonctions de médecin…

Elles partent et … repartent, rejetant du vieux monde européen une vision domestique de la femme Elles étanchent leur soif de découvertes de l’Autre, donnant leur avis sur la colonisation, abolitionnistes ou antiabolitionnistes…

Divisé en trente-trois courts chapitres thématiques "Le roman des voyageuses françaises" se lit facilement mais m’a laissée sur ma faim : il s’apparente malgré tout à un catalogue. J’aimerais qu’il donne goût à de jeunes historiens ou historiennes de poursuivre la recherche sur ces femmes oubliées (une fois de plus) des dictionnaires des voyageurs du XIXème siècle ou des anthologies sur les sujets abordés dans le livre.

Merci à Françoise Lapeyre d’avoir donné une existence aux « femmes de… ». et de nous ouvrir les portes pour aller plus loin !

Merci à ces femmes qui ont justifié le féminin du mot «  aventure ».

Joyeux printemps 2009 à tous

En utilisant sans vergogne la belle photo et le beau texte de Khalil GIBRAN que m'adresse Marie-Anne pour fêter le printemps, je vous offre à tous mes meilleurs vœux  de printemps (et ceux de Marie-Anne, notre irremplaçable chroniqueuse littéraire).

« Vous voudriez mesurer le temps, l’infini et l’incommensurable.
Vous voudriez adapter votre conduite et même diriger le cours de votre vie selon les heures et des saisons.
Du temps vous feriez une rivière au bord de laquelle vous vous assoiriez pour observer son cours.
Cependant l’intemporel en vous est conscient de l’intemporalité de la vie,
Et sait qu’aujourd’hui n’est que le souvenir d’hier et de demain, le rêve d’aujourd’hui.
Et que ce qui chante et contemple en vous est encore fixé dans les limites de ce premier instant qui sema les étoiles dans l’espace.
Qui parmi vous ne sent que son pouvoir d’aimer est illimité ?
Et cependant qui ne sent ce même amour, quoique illimité, enfermé au centre de son être, et ne procédant pas d’une pensée d’amour, ni d’un geste d’amour à un autre geste d’amour ?
Et le temps n’est-il pas comme est l’amour, indivisible et immobile ?
Mais si dans votre pensée vous devez mesurer le temps en saisons, que chaque saison enveloppe toutes les autres,
Et qu’aujourd’hui embrasse le passé avec souvenir et le futur avec aspiration. »

                                                                     Khalil GIBRAN

Pour soigner nos dépressions de fin d'hiver et de temps de crise, Marie-Anne nous conseille les polars d'Andrea Camilleri

Pendant la seconde guerre mondiale, Edmund Wilson, critique états-unien, se demande pourquoi le polar a autant de succès. Lorsque le monde est incertain, en déduit-il, le roman policier apporte une certitude : peu importe les embûches, l’histoire se termine par une vérité. Andrea Camilleri abonde dans ce sens : « Plus le monde peine à arriver à la Vérité, plus les gens se contentent de la petite vérité du roman policier »

Si vous avez un souci, un ras le bol professionnel, l’envie de décrocher, si la crise vous inquiète à vous couper les bras, alors entrez comme moi dans la « petite vérité » de Camilleri et faites une cure. A plus de 80 ans, Andrea Camilleri vous entraînera dans un maelstrom tragi-comique dont vous reviendrez revigoré. C’est sans doute qu’il n’a pas de temps à perdre Camilleri, lui qui a commencé à écrire à 65 ans : l’histoire est troussée en deux trois mouvements et la fin… inattendue !

Son héros, le commissaire Salvo Montalbano, n’est pas une figure figée, il vieillit au fur et à mesure de ses enquêtes. Non seulement, il prend de l’âge mais il apprend aussi de ses expériences et en acquière de la maturité. Il vit dans son temps et réagit à ce qui se passe autour de lui. Vigata, lieu où il enquête, ressemble à notre coin de vie, ciel bleu sicilien en moins !

Montalbano est truculent : bougon, il renvoie les notables dans les cordes ; agacé, il est sarcastique avec ses collègues « Commissaire, à hier soir, j’ai remué ciel et terre pour vous trouver. » « Et dans la mer, t’as cherché ? » ; sensible à la douleur des victimes, il suggère les gestes simples d’amitié. Les dialogues sont musclés, l’humour parfois un peu vache mais se déguste comme le tumazzo (tomme de chèvre), le capocotte et autres sosizze. Cela sent  la Provence, la garrigue et l’huile d’olive.

Mais Montalbano ne serait rien sans la langue de Camelleri. Langue vive, acérée, drôle, mélange savoureux d’italien, de sicilien et de…Camellerien  que le traducteur  Serge Quadruppani a réussi à retranscrire en français: verbe en fin de phrase, syllabes abandonnées, nouveaux mots…
Dès les premières phrases, j’ai eu la sensation de lire un livre en langue étrangère. J’ai eu peur de m’en fatiguer mais, très vite, j’ai décrypté et me suis laissée embarquer dans : « Il y a Galluzzo au tiliphone. Il veut vous parler pirsonnellement en pirsonne. » ou « A Montalbano était venu le pétit, il ouvrit le frigo : poulpes à la Luciana et une simple sauce de tomates fraîches »

Ne vous privez pas : c’est une invitation à dîner avec ce revigorant commissaire et vous ne serez pas déçu !

Je vous recommande : "La voix du violon", "l'odeur de la nuit", "l’excursion à Tindari"

Marie Anne nous invite à l'écoute des "voix endormies"

 Voix endormies
De DULCE CHACON
Traduit de l’espagnol par Laurence Vuillaume
10/18 Domaine étranger chez Plon
 
Il y a la guerre d’Espagne, celle que nous étudions dans les livres. Et puis, il y a l’après-guerre où les voix se taisent et rentrent dans l’ordre du vainqueur. Les livres d’histoire oublient « l’après », comme si la vie reprenait son cours là où la colère républicaine l’avait arrêtée.

Les voix endormies, ce sont les voix des femmes combattantes enfermées dans la prison de Ventas à Madrid. Pour elles, la guerre n’est pas finie : leurs maris sont encore au combat dans la sierra, leurs enfants dispersés et elles vivent à 10 000 dans une prison conçue pour 500. Elles se soutiennent pour supporter le froid, les humiliations des gardiennes, le typhus, la mort de leur bébé enfermé comme elle, la peur de la sentence du tribunal, la mort de leur proche.

Dulce Chacon remercie, à la fin du livre, « toutes les personnes qui m’ont fait cadeau de leur histoire ». De toutes ces histoires, elle a donné vie à des personnages forts qui rayonnent d’amour. Ces femmes puisent leur force dans leurs convictions, elles sont transcendées par cet idéal qui, malgré la mort suspendue au-dessus de leur tête, les porte à penser l’avenir dans les messages qu’elles arrivent à sortir des murs de la prison.

L’oubli, il n’y a rien de pire pour un combattant de la liberté. L’oubli, c’est mourir pour rien. L’oubli, c’est n’avoir pas existé pour ce qui a été le plus fondamental pour soi. Dulce Chacon a réveillé ces voix et, une fois le livre refermé, nous ne pourrons les oublier.

Des angles de vues sur des tranches fines de vies ordinaires

Marie Anne a lu "Œuvres romanesques", de Katherine Mansfield, aux éditions Stock

Contemporaine de Joyce, Faulkner, Proust et Virginia Woolf (qui en était « férocement jalouse » comme l’écrit Nigel Nicholson), Katherine Mansfield n’a pu donner une plus grande ampleur à son talent : la mort l’a rattrapée à l’âge de 35 ans. Elle a laissé des lettres, un journal et des nouvelles.

Elle écrit presque comme si elle prenait une photo : elle cadre une tranche fine de vie, la sienne ou celle de personnes qui nous ressemblent. Il ne se passe pas quelque chose d’extraordinaire dans ces vies-là, sinon un tout petit fait qui donne une intensité particulière à cet arrêt sur image de leur quotidien.

Ces vies-là sont au centre de leur histoire, imbriquées dans la complexité de l’expérience, emportées par la violence des sensations et, toujours à un moment, mises en distance par leur propre prise de conscience. Cette expérience, éclairée par la conscience de soi et de l’autre, leur permet de voir « leur petit monde » différemment et de le réorganiser.

L’écriture de Katherine Mansfield est toujours sur le fil du rasoir, entre poésie et réalisme, si bien que, comme la photo, ce qui paraît vrai n’est, comme elle l’écrit elle-même, que mensonge : « Dites-moi, dites-moi, pourquoi est-il si difficile d’écrire simplement, et non seulement, simplement, mais sotto voce, comprenez-vous ce que je veux dire ? C’est ainsi que j’aspire à écrire. Pas de jolis effets, pas de bravura. Simplement la vérité nue, comme seul un menteur peut la dire. »

L’écriture de Katherine Mansfield n’est pas « intello », au contraire, elle est tout en demi-teinte, comme la lumière dans une photo noir et blanc !

Marie-Anne ouvre nos angles de vue sur l'amour

"Plus jamais d'invités"
Vita Sackville-West
Ed. Autrement

Poétesse, romancière, essayiste, biographe, traductrice et….jardinière, Vita Sackville-West est aussi connue pour avoir mené une vie de couple peu banale, basée sur des liens de confiance et d’amitié, alors que chacun vivait, par ailleurs, pleinement son homosexualité.
Son origine aristocratique l’a mise certainement au-dessus des contraintes sociales de son milieu et lui a permis de vivre, avant l’heure, toutes les multiples facettes de sa personnalité, ce que bien des femmes aujourd’hui ne peuvent encore se permettre !

Son fils Nigel Nicholson écrit d’elle : « Elle s’est battue pour le droit d’aimer, homme et femme, rejetant les conventions selon lesquelles le mariage exige l’amour exclusif, et que les femmes ne devraient aimer que les hommes, et les hommes uniquement les femmes. Pour cela, elle était prête à tout abandonner… Comment pouvait-elle regretter que ce savoir puisse atteindre les oreilles d’une nouvelle génération, qui plus est infiniment plus compréhensive que la sienne ? »

« Plus jamais d’invités », n’est pas une histoire d’invités ! Il faut lire ce livre court et dense à l’aune de ce qu’écrit le fils de Vita. Du déni à l’excentricité, des « mamours » conjugaux au sacrifice, de la froideur aristocratique au ridicule populaire, le livre explore des comportements possibles face à l’amour, comportements qui ont en commun d’être engoncés dans les conventions de classes.
Deux drames viennent changer la donne pour les invités et leurs hôtes : les pièces du puzzle de leur vie vont devoir se positionner différemment et, peut-être, permettre de re-jouer autrement les jeux de l’amour.

"La vérité de l'un n'est pas celle de l'autre"

Histoire de l’autre
Prime (Peace Research Institute in the Middle East)
Traduit de l’arabe par Rachid Akel
et de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech

Il y a quelques années des élèves de CM2 avaient écrit et joué une pièce de théâtre où ils racontaient l’histoire d’un petit peuple qui vivait en harmonie avec la nature. Le moment le plus important de la journée était quand, le soir venu, les habitants se rassemblaient autour du plus ancien. Il était dépositaire et lecteur du LIVRE. Chacun et chacune écoutaient avec un bonheur renouvelé chaque jour l’histoire du peuple, écrit depuis les temps les plus reculés. « Et le plus important, insistaient les élèves au moment de l’écriture - sous la conduite de la philosophe Marie Bruneau et de la comédienne Christine Burnet - c’est que chaque habitant doit continuer d’écrire sa version de l’histoire vécue ensemble, ainsi, disaient-ils, ils pourront approcher la Liberté ! »***

« Histoire de l’autre » me rappelle cette utopie des élèves de CM2 : écrire sa version des faits pour éclairer sa propre histoire et comprendre celle de l’autre parce que comme l’écrit l’éditrice Liana Levi « La vérité de l’un n’est pas celle de l’autre. »

Le livre s’articule sur deux récits parallèles de trois dates clés de l’histoire commune entre palestiniens et israéliens : Balfour, 1948 et la première Intifada. Il est écrit par douze professeurs, six israéliens et six palestiniens.

Les mots s’entrechoquent pour désigner le même évènement. Balfour : naissance de l’utopie sioniste ou usurpation d’une patrie ? 1948 : guerre d’indépendance ou la Nabka (la Catastrophe) ? Les mots disent aussi la souffrance, bien au-delà des faits, de chaque peuple, souffrance que quelques dizaines d’années ne peuvent combler. Les mots analysent et montrent combien la puissance des nations riches, donc stratèges pour préserver leur pouvoir, l’emporte sur la détermination des petits peuples : terrible jeu des alliances qui se paie au mépris de vies!

Ce livre ne prétend pas dire « vrai » sous prétexte d’aborder les faits sous deux angles différents. Son principal mérite, c’est qu’il s’adresse aux élèves et à leurs professeurs. Il ouvre enfin un espace de dialogue où les questions peuvent se poser. Il démontre combien les situations de conflits sont compliquées parce qu’elles entremêlent les mythes à la réalité, les intérêts économiques aux intérêts humains, les preuves historiques à l’illusion de la souveraineté. Ce livre est un espace d’apprentissage à l’analyse de ces situations compliquées et peut nous aider à repérer la complexité, non pour s’embrouiller davantage mais pour mieux dominer et  devenir des acteurs efficaces.

*** Modeste, Marie-Anne omet de préciser que ces enfants de CM2 avaient pour bonheur de l'avoir comme institutrice.

Marie-Anne sur les traces d'Anne Brontë

Anne Brontë   La recluse de Wildfell Hall
Phébus 2008

Ce roman est souvent considéré comme le premier livre féministe de la littérature occidentale.
Anne Brontë, la moins connue du célèbre trio, raconte comment, pour l’amour d’un homme, une jeune femme sort du cadre et du rôle que lui assigne la « bonne » société victorienne, à savoir, être la garante de l’harmonie et la gardienne du foyer, le symbole même du dévouement et de l’abnégation.

Cette jeune fille choisit l’amour, premier mauvais choix !
Lorsque son mari révélera sa vraie nature de débauché, elle fait un deuxième mauvais choix puisqu’elle décide de s’assumer : elle vit seule avec son fils et une servante dévouée, essaie de vendre sa peinture et refuse toutes relations de convenance avec son groupe social.

C’est bien parti…mais, là, s’arrête le combat « féministe avant l’heure » de l’héroïne.
Si elle décide de s’en sortir par elle-même, c’est plus par culpabilité qu’envie de faire ses preuves. Elle veut se punir d’avoir osé transgresser les codes. Pour cela, elle se met à l’écart de sa famille et de ses relations. Elle vit pauvrement et se consacre entièrement à son fils. Et soudain, nous retrouvons le cadre victorien du dévouement et de l’abnégation.

Anne Brontë sent bien que quelque chose ne va pas dans cette classe sociale si bien codifiée, un quelque chose qui ne permet pas aux femmes d’explorer leurs capacités, de les mettre en valeur et d’en vivre, un quelque chose qui ne permet pas aux femmes de faire leur propre choix sans se faire taper sur les doigts par la vie…

« J’ai appris à ne pas m’appuyer sur le monde parce que je sais que le monde gagnera. Toujours. » C’est ce qu’écrit Anita Brookner à la même période.

Le livre d’Anne Brontë a fait l’objet d’une véritable censure à sa sortie. Caviardé pour ne pas choquer, écrit sous le pseudo masculin d’Acton Bell, la version originale a été longtemps « perdue » ! Je serais curieuse de savoir ce qui a été censuré : est-ce l’idée que les garçons, comme le fils de l’héroïne, ont besoin d’une autre éducation ? Ou les « contraintes » et les limites que l’héroïne impose à son nouvel amoureux ?

Les éditions Phébus nous livrent la version intégrale telle qu’elle a été publiée pour la première fois en 1848 ! A vous de deviner !

Si vous n’aimez pas la littérature de cette période parce que le style est grandiloquent, la narration parfois interminable, plongez sans crainte dans celui-ci : l’écriture d’Anne Brontë est sobre, sans fioriture, sans description-fleuve ni digressions inutiles.

Angle de vie d"une femme Kabile : Fadhma Aïth Mansour Amrouche,

Marie-Anne a beaucoup lu ces dernières vacances et ouvre une nouvelle série d'Angle de vue littéraires.

Fadhma Mansour Amrouche raconte sa vie avec ses mots, comme elle l’a promis à ses enfants, pour que se marquent à jamais les traces de sa vie de femme, de Kabile, de poétesse, d’épouse et de mère.
Elle est née en  1882 et les circonstances malheureuses de sa naissance – son père a refusé de la reconnaître – obligent sa mère à l’envoyer chez les sœurs catholiques où elle va apprendre à lire et à écrire en français. Un bien pour un mal car avec ces mots qu’elle a  appris dans un environnement difficile, elle nous emmène sur son chemin de vie, avec une sincérité sans rancœur, avec une émotion des moments vécus toujours intacte et une rigueur étonnante.

A la fin du livre, les poèmes écrits à la mort de ses trois fils donnent envie de découvrir la  poétesse qui avait choisi la Bretagne comme dernière demeure.

Me voici
Me voici maigre, mon teint s’est assombri,
Je suis la feuille jaunie qui se détache et tombe
Mes cheveux sont semblables à une toison blanche,
Mon sourire s’est flétri sur mes dents effondrées,
Et ma vue s’est tant obscurcie
Que je ne puis même distinguer une épine.
La mort de mes fils bien-aimés
A laissé mon cœur meurtri.

Me voici debout comme une ombre,
Ma taille s’est inclinée,
Je suis comme l’inconnu qu’une balle a frappé.
La nuit, le jour, mes larmes coulent
Et ma peine sans fond est irrémédiable :
Ils tombèrent tous les trois en un an
Et sans que j’aie pu seulement les revoir,
Soleil, épouse ma tristesse, éloigne-toi.

Mon cœur gémit, mon cœur pleure
Les yeux de l’aigle qui n’est plus :
Je ne me résignerai jamais.
Il m’a dit : « Mère, ne crains rien,
Tu peux me confier mes frères,
Auprès de chacun d’eux je te remplacerai,
Et je leur ouvrirai ma maison toute grande. »
J’ai pensé : « Le mal ne peut l’atteindre
Lui qui d’un jet a poussé
Comme un chêne dans la grande forêt ! »
Mais une tempête est survenue
Qui d’un coup l’a déraciné
Et l’a couché en plein exil.

Je pleure, mes yeux n’ont pas de répit.
Soir et matin je pleure
Les enfants dont s’est retirée la vie :
Seghir, l’arbre de douceur
A la taille flexible ;
Saâdi, le petit oiseau
Qui sur les branches d’un pêcher
Chantait du matin à la nuit
Et Mohand, le lion
Qui a emmené ses frères.

La tempête est arrivée
Et le tonnerre, les éclairs et le vent,
La tempête d’été
Qui les a tous les trois déracinés,
Tous les trois la même année.
Depuis la frayeur m’habite, je ne suis que tremblement :
Si j’ai un ami qu’il pleure !

Marie-Anne ouvre ses yeux et son cœur, avec Gisèle Freund

Nous qui avons la photo facile avec le numérique, la lecture du livre de la photographe Gisèle Freund - Le monde et ma caméra - nous rappelle qu’appuyer sur le déclic n’est pas un geste de consommation ni un simple moyen d’information.

« Ouvrez vos yeux et vos cœurs, passionnez-vous pour la destinée de l’homme sur cette terre troublée et faites de votre appareil un témoin de votre temps. Car si la technique de la photo ne pose plus problème, c’est toujours de l’homme que dépend l’image que la caméra enregistre. » Voilà le conseil qu’elle donne aux jeunes.

Dans ce livre sincère, Gisèle Freund partage avec nous ses rencontres, ses questions et son amour de l’être humain qu’elle a saisi au travers de milliers de portraits.

Elle nous invite à nous interroger sur nous-mêmes dans la photo que nous prenons, moyen de nous exprimer « tout entiers »

« On ne demande pas au photographe de créer les formes, mais de les reproduire. Dans la hiérarchie des artistes, il se rapproche du traducteur, et  un bon traducteur doit savoir écrire lui-même »

Marie-Anne rève d'aventure en Egypte, sur les traces d'Agatha Christie

« Epousez un archéologue : plus vous vieillirez, plus il vous aimera » C’est à croire que c’est pour cela - l’amour – qu’elle a suivi son archéologue de mari. Elle l’a suivi sur les fouilles en Syrie et en Irak, y trouvant l’inspiration pour « Mort sur le Nil », « Le crime de l’Orient –Express » et « Meurtre en Mésopotamie »

« La romancière et l’archéologue » regroupe les notes caustiques et drôles de cinq saisons de fouille dans les années trente. Voilà une personne avec qui il devait être plaisant de voyager : elle commente avec un humour très « british » les vies quotidiennes des chantiers. Elle est elle-même au cœur de l’action, prenant des photos, restaurant les objets, tenant le rôle de médecin, bataillant contre les souris et les puces… et n’oubliant surtout pas d’écrire ses propres romans !

La romancière et l’archéologue Mes aventures au Moyen Orient d'Agatha Christie Mallowan est un livre drôle, écrit avec talent, qui permet de vivre des aventures à notre portée … sans quitter son fauteuil !

Marie-Anne a lu pour nous "La joueuse d'échec" de Bertina Henrichs

Eleni de Naxos en Grèce est femme de chambre dans un hôtel de l’île. Quelle idée saugrenue a-t-elle de se mettre aux échecs ? Jeu de stratégie difficile qui demande patience et intelligence… Voilà pourquoi, sur Naxos et sans doute ailleurs, il est l’apanage des hommes.

A la découverte de la nouvelle passion de sa femme, Panis rugit de colère, l’accusant de le rendre ridicule. Eleni tiendra bon, portant avec jubilation et angoisse les conditions de sa libération.

Ce petit livre d’un féminisme tranquille, premier roman de Bertina Henrichs, scénariste de documentaire et de fiction, se lit avec bonheur. Il est de celui que l’on se conseille de bouche à oreille !

Marie Anne fait dans la "préférence nationale"

Deux nouvelles de là-bas, du Sénégal, deux nouvelles où la vie du quotidien s’écoule, tissée d’expériences difficiles et de sagesse : elles rendent encore plus difficile la lecture des histoires qui suivent. Elles nous plongent dans les petites vexations, la langue petit nègre « toi tête pour réfléchir ? », les leçons infantilisantes de ceux et celles qui ne peuvent imaginer que cette jeune femme noire qui postule pour l’emploi de femme de ménage, prépare un doctorat de lettres.

Le livre est vite lu tant le style de Fatou Diome est vif et la langue riche. L’humour en est cinglant et « remet les pendules à l’heure » !

La préférence nationale, de Fatou Diome, éditions présence africaine

Ces ghettos où se protège le Ghota

Marie-Anne renoue avec sa chronique littéraire en nous invitant à découvrir (ou redécouvrir) "Les ghettos du Gotha", (aux Editions du seuil) par Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon qui se sont spécialisés dans la sociologie des riches et des puissants.

" Ici, le ghetto n’est pas subi mais choisi pour se protéger de tous « ces autres », dont nous sommes. Qui sont-ils ces gens répertoriés dans le Bottin Mondain et qui ont leurs entrées dans certaines écoles, certains cercles, certains clubs ? Riches, mobilisés dans des réseaux sociaux tissés depuis « des siècles », « tombés tout petits » dans l’Art et la culture et symboliquement présents dans la société, ils ont une sociabilité d’enfer pour gérer les frontières afin de remplir leur mission, celle de reproduire la position dominante de leur classe sociale.

Au cours de la conférence donnée aux Champs Libres, le 2 février dernier, Monique Pinçon-Charlot a mis en lumière l’absence des sociologues sur ce terrain d’études. En effet, ces derniers préfèrent scruter les populations et quartiers difficiles plutôt que de pénétrer l’entre-soi de ceux et celles qui nous gouvernent. Eclairer les liens, révéler les processus qui influent sur les décisions, déchiffrer les réseaux de tous ces gens de pouvoir aideraient peut-être à assainir certaines situations que nous subissons! "

Un pays qu'il faudrait inventer, la Molvanie

Avec ce premier livre de la très sérieuse collection « Jetlag travel guide. On vous emmène là où vous n’avez pas envie d’aller… », la Molvanie, patrie de la polka et de la coqueluche, ne devrait plus, sans quitter votre fauteuil, avoir de secret pour vous.

Ce guide a tout d’un grand… comme celui du Routard par exemple : même formule (hôtels et resto pas chers mais néanmoins branchés !), mêmes commentaires quelque peu sentencieux sur un tourisme vrai.

«  Ce qu’en dit Philippe… : J’en ai eu marre des habituels pièges à touristes et autres boutiques de souvenirs. Alors j’ai hélé un taxi et dans mon meilleur molvanien ( ! ), j’ai demandé au chauffeur de m’emmener au cœur véritable du pays. Après deux heures et demie de route, il m’a lâché en plein désert… Au bout de quelques jours, en m’effondrant de faim et de froid, j’ai réalisé que j’étais en train de vivre une expérience inoubliable ! »

Tout est dans l’art de faire prendre aux touristes des vessies pour des lanternes !
Ce livre n’est pas à lire d’une traite, bien sûr. Il est plutôt à laisser traîner et à ouvrir par surprise. En effet, le condensé de critiques et de lieux communs sur les pays de l’est dont la Molvanie est un des fleurons, peut devenir à la longue fatigant voire même raciste, tant la caricature est parfois poussée.

« Le vin est souvent utilisé pour la messe ou comme matière première dans l’alimentation des volailles. Pour goûter un verre ou deux…en fin de semaine, des dizaines de visiteurs s’installent au bar et goûtent le vin qu’ils régurgitent dans un immense crachoir situé au milieu de la pièce. Pour un prix légèrement inférieur, il est possible d’attendre dehors et de savourer le contenu du crachoir. »

A peine scatologique direz-vous… sauf que ce qui est écrit ne nous renvoie pas à nous-mêmes et à notre culture mais à des stéréotypes qui traînent encore dans le fond de nos crânes ! Et c’est bien là le problème !

La Molvanie
Le pays que s’il n’existait pas, faudrait l’inventer
De Santo Clauro, Tom Gleisner et Rob Sitch
Traduction de l’anglais (Australie) par Nicolas Richard

Découvrez Arnaldur INDRIDASON

Arnaldur INDRIDASON, né en Islande en 1961, est journaliste et critique de cinéma. Son premier livre, « La cité des jarres », paru en 2000 dans son pays a fait un tabac et est traduit aujourd’hui dans vingt langues.

J’ai lu les deux polars d’une traite.

Peut-être parce que cela se passe en Islande, un pays étrange, au milieu de nulle part, entre le froid glacial de l’hiver et les clartés insistantes de l’été. Un pays qu’Indridason aime et connaît comme sa poche.
Peut-être parce que les enquêtes nous entraînent dans un aller-retour continuel entre le passé des années d’avant et après-guerre et le présent. Elles en éclairent que mieux les problèmes d’aujourd’hui, la génétique dans « La Cité des Jarres » ou les violences conjugales dans « La femme en vert »
Peut-être parce que le héros, l’inspecteur Erlandur, n’est pas un être froid et aseptisé : ses enquêtes le renvoient à ce qu’il est ou plutôt à ce qu’il n’a pas su être dans les situations qui ont traversé sa vie.
C’est un sacré pari pour Indridason de nous renvoyer, à travers son héros, à nos propres limites. Pari tenu !


La cité des Jarres (parution en France en 2005)
La femme en vert (parution en France en 2006)
D’Arnaldur INDRIDASON

Lumière de femme D’Aleth Félix-Tchicaya

Découvrir une petite étagère de littérature africaine dans le rayon « Romans étrangers » d’une chaîne de librairies, vous fait un coup de prise de conscience au cœur. Un continent, une modeste étagère certes …mais une place à part entière hors de la francophonie. De Léopold Senghor à Mongo Beti, les auteurs vont-ils enfin retrouver leur terre ?

Chef de mission pour le cabinet d’état, Aleth Félix-Tchicaya est, comme son héroïne Nour, née au Congo. Elle a suivi des études en France et est revenue travailler au pays. Sans doute comme son auteure, face aux aléas de la vie, Nour creusera son sillon, en puisant dans la sagesse de l’Inde et de l’Afrique et les théories de la psychologie occidentale, les moyens de vivre debout. En suivant Nour, nous découvrons un Congo rongé par la corruption, le délitement des liens familiaux et la perte de sens des coutumes.

Issue de deux cultures, par la naissance et l’éducation, Aleth Felix-Tchicaya écrit en deux rythmes : la narration cartésienne croise l’imaginaire envoûtant et poétique des ancêtres de la terre africaine.

Aleth Felix-Tchicaya écrit son premier livre avec la spontanéité d’une débutante, liant le parcours besogneux de la recherche de soi et la prise de risque, vécue comme une libération, de se découvrir à l’autre.

                                                                                                   Marie-Anne

 

Lumière de femme, D’Aleth Félix-Tchicaya, Ed.Hatier International – coll. Monde Noir

Marie Anne ne nous recommande pas de lire ce JOURNAL D’UNE JEUNE FILLE RUSSE A BERLIN

De « Missie » VASSILTCHIKOV
1940-1945

La quatrième de couverture était pourtant engageante : « Son journal est une belle leçon de courage et d’espoir. Jamais on n’avait décrit ainsi, sur le vif, la vie quotidienne dans un Berlin livré au chaos – privations, terreur policière, angoisse permanente de l’avenir ». Quand, au fil des pages, vous vous retrouvez convié, malgré vous, au thé charmant qu’organise la charmante épouse du prince Constantin de Bavière ou à la soirée de la baronne von Gersdorff où on s’amuse jusqu’à plus d’heure, vous vous demandez si vous ne vous êtes pas trompé de livre.

Toujours la si engageante quatrième de couverture : « Jamais surtout on n’avait évoqué de façon aussi saisissante l’attentat du 20 juillet 1944 contre le führer qui fut tout près de réussir mais s’acheva dans un bain de sang ». Pas tant que cela finalement, car la plupart des aristocrates impliqués furent renvoyés dans leur château. Quant à la préparation de l’attentat, cette Missie, apparentée à tout le gotha européen, le découvre au moment de l’arrestation des protagonistes.

Si vous êtes fidèles lecteurs ou lectrices de « Vue et image du monde », vous vous délecterez, sinon, laissez tomber !

Un russe porte un regard sarcastique et acéré sur son pays.

Dernières nouvelles du bourbier
D’Alexandre Ikonnikov

Arrosé de bonnes rasades de vodka – à tel point qu’au bout de quelques pages vous vous sentez comme l’envie d’accompagner la lecture grinçante de ces nouvelles d’un bon petit verre bien corsé – Alexandre Ikonnikov nous promène dans la Russie d’aujourd’hui, avec un regard plein d’humour et tendresse sur ses contemporains.

"La nuit dernière à U., la caserne des pompiers a été détruite par le feu. Grâce à l’action efficace des pompiers, un engin a pu être sauvé. On ne déplore aucune victime. » Cela nous conforte dans les stéréotypes colportés à l’ouest : alcool, passe-droit, administration inefficace etc.

Mais des petites pointes comme celle-ci devraient nous faire balayer devant notre porte :
« Vive Coca-Cola – et avec lui toutes les autres boissons d’importation. Dans leurs étincelants plastiques, cartons et fers-blancs, ils comblent le cœur et la vessie des citoyens russes… ( l’auteur raconte comment enfants, adultes, artistes et designers se sont emparés des boîtes pour les transformer). Dès que les entreprises locales ont compris tout le plaisir et la bonne humeur salutaire qu’apportaient ces choses utiles et intéressantes dans les familles russes, ils ont tiré profit de l’expérience occidentale et renoncé au bon vieux verre consigné.

Donc un grand merci à toi, Coca-Cola, boisson du progrès russe. »

Derrière la satire, n’est-ce pas à la qualité de nos propres choix – certains irréversibles – que nous renvoie l’auteur ?

TETES DE BRETONS, portraits de 12 leaders politiques...

Des histoires de vie qui nous réconcilient avec la politique. Né(e)s avec une cuillère de vermeil dans la bouche ou au fond d'un pen-ty, ils et elles partagent la même passion qui les pousse à tenter l'impossible.

NONO, le dessinateur et Michel ROUGER, le journaliste, auteurs à quatre mains et deux plumes de ces portraits, ont fait leur première séance de dédicace au festival du livre en Bretagne, à Carhaix, samedi dernier. Le livre sort officiellement le 8 novembre.

J'ai pris plaisir à le lire, j'y ai appris des choses, j'ai surtout mieux compris ce qui pouvait pousser un humain à se lancer dans la politique et je n'ai pas du tout envie de le surnommer, cet humain, "animal poltique"!


Marie Anne

Qu'a donc en tête Marie-Anne quand elle vous regarde avec un point d'interrogation dans les yeux ?

La réponse est dans ARLINGTON PARK, le roman de Rachel CUSK.

Il ne se passe rien dans ce livre, sinon les petits bouts exaspérants du quotidien de quatre anglaises, de la bourgeoisie moyenne. La quarantaine comblée, mari avec une bonne situation, enfants remuants, bébé en route pour certaines, papotages autour d’un café en revenant de l’école ou shopping, toujours entre copines, à la grande surface voisine, jolie maison dans un quartier « bien », voiture silencieuse et spacieuse… la quarantaine comblée, vous dis-je…sauf  l’exaspération dans un quotidien qui se répète, l’inquiétude et l’anxiété face au vide de leur vie déjà programmée, la solitude infinie qui, lorsqu’elles en prennent conscience, pourrait les conduire à la folie.

Il y a du Virginia Woolf dans ce livre, même élasticité du temps et du décor, mêmes états

d’ âme changeants des personnages, même talent à faire surgir la sensation fugitive et à la traduire en belles images littéraires.

C’est un livre à lire quand on est en paix avec soi-même, pour nous les femmes.

Quant aux hommes, c’est un bon moyen de percevoir ce qui trotte dans la tête d’une femme quand elle vous regarde avec des points d’interrogation dans les yeux !

Angles à lire : Marie Anne nous invite à lire et à écrire...

J’ai acheté je ne sais combien d’exemplaires de « Les hirondelles de Kaboul » de Yasmina Khadra. J’ai aimé ce livre et n’ai trouvé d’autres moyens pour vibrer à plusieurs que de l’offrir aux amis !

La formule d’ « angle de vie » est plus simple et …plus économique !

Ce petit coin de blog se veut échange de points de vue et partage de lecture.

N’hésitez pas à envoyer une critique de vos coups de cœur, anciens ou récents : vous verrez, c’est une expérience intéressante que de lire pour « en parler avec d’autres » ! Puis s’astreindre à l’écriture… n’est-ce pas comme un juste remerciement à l’auteur qui ne nous a donné que du bonheur !

A vos touches… si vous le voulez bien !

Marie-Anne récidive avec Simenon

Le fond de la bouteille
Simenon

Un polar qui n’en est pas un, plutôt une ambiance glauque, visqueuse et collante.

Une écriture différente des Maigret, plutôt détachée, comme en observation d’un phénomène.

Simenon nous emmène aux Etats-Unis. Le livre s’ouvre sur le quotidien d’une bande de voisins, cuvant à la bière, de week-end en week-end, de maison en maison, leur mal de vivre.

Comme la rivière voisine qui déborde et envahit le canyon, le passé resurgit dans la vie du héros avec l’arrivée de son ex-taulard de frère. Comment se débarrasser de cet « inconnu », faire passer pour faux quelque chose qui est vrai, alors que  l’environnement lui-même vit dans le faux-fuyant ?

Cette question, Simenon se la pose à lui-même : comment se débarrasser d’un frère, son frère que sa mère lui a préféré ? Son frère, à qui il a suggéré, après quelques mauvais coups, de s’engager dans la légion étrangère et qui y est mort ? Cette mort dont sa mère l’a rendu coupable…

Dans «Maigret aux assises », il plaide pour l’assassin dans le box : il n’est plus le même homme que celui qui a commis l’acte. Dans « Le fond de la bouteille », il plaide pour un autre regard sur l’homme qu’il est devenu. « Un raccommodeur de destinée » disait de lui sa seconde épouse. Est-ce avec la sienne qu’il a voulu se raccommoder ?

Marie-Anne a lu CHRISTINE L’OISEAU ROC

De Marie-Louise KASCHNITZ

Nouvelles traduites de l’allemand par Pierre Furlan

L’écriture est classique et belle ….

« Des rues, il en existe qui vous crient leurs histoires aux oreilles que vous le vouliez ou non. Chaque porte cochère a une histoire, chaque fenêtre, chaque personne qui vous croise. N’en est-on pas saturé, à la fin, n’aimerait-on pas se promener vraiment pour une fois ? » (La lumière éternelle)

Ou…. « Lorsqu’ils furent obligés de quitter le paradis terrestre, il est certain qu’Adam et Eve n’eurent pas la vie facile pendant longtemps » (Adam et Eve)

 

Les thèmes sont simples et familiers…

Un couple veut louer une belle villa, se dédit et apprend quelques jours après qu’elle est ensevelie sous la roche. (L’éboulement)

En voici la chute :

« Ils ont fixé les grosses manchettes du Messagero puis se sont regardés dans les yeux, toi et moi, et, au fond de nos yeux la question : Sauvés dans quel but ? »

 

Marie-Louise Kaschnitz nous promène avec aisance et naturel sur les sentiers du connu et fait  soudain surgir, au moment où on s’y attend le moins, la question « qui tue », juste ce qu’il faut d’angoisse pour reconsidérer le confort de notre quotidien.

 

 

 

Marie-Anne ose le bon vieux polar...si peu polar...

MAIGRET AUX ASSISES
de Simenon

Peut-être parce que c’était les vacances… Peut-être un petit coup de blues pour les lectures « simples » des bons vieux classiques ? A moins que ce ne soit la flemme de se lancer dans les polars parfois bien alambiqués d’aujourd’hui…Peu importe la raison mais j’ai dévoré goulûment ce « Maigret aux assises » - m’arrêtant – interloquée, sur des passages bien prémonitoires pour un livre écrit en 1960.

« Ils ont avoué ? (demandent les journalistes à propos de deux jeunes gangsters amateurs)

- Pas trop de publicité, messieurs, je vous en prie. Surtout, ne les montez pas en épingle ! Ne donnez pas à ceux qui seraient tentés de les imiter l’impression que ces gamins ont accompli un exploit. Ce sont de pauvres types, croyez-moi. »

Qui sont ces pauvres types, ces êtres « hors-série » qui viennent de commettre un crime ? Pourquoi et comment en sont-ils arrivés là ? Comment démêler stéréotypes et faux-semblants ? Comment trouver du temps pour explorer les lieux où ils vivent, s’en pénétrer afin de les comprendre alors que lui Maigret se voir contraint d’assister aux séances d’assises où il ne reconnait plus ces « hors-série » qu’il y a envoyés.

La machine « justice » les a transformés en « hommes schématisés, désincarnés ». Quant au juge « talonné par la presse, bridé dans ses initiatives par un fatras de règlements… que va-t-il découvrir ? Sur quoi les jurés vont-ils décider ?... L’affaire n’est dessinée qu’en quelques traits, les personnages ne sont que des esquisses, sinon des caricatures. »

On sent comme un soupçon de regret et de défaitisme chez le commissaire qui ne retrouve pas dans l’acte du jugement, la continuité de sa quête, à savoir la recherche de l’être humain qui se terre derrière chaque accusé.

Finalement, est-ce un polar que j’ai lu ?

Angle de vue littéraire de Marie-Anne (3)

L’auberge des femmes tristes
De Marcela Serrano
Editions Héloïse d’Ormesson

 

Sur l’île de Chiloé, au chili, Elena, ancienne psychologue, a ouvert une auberge particulière : elle y accueille pour trois mois des femmes qui sont allées au bout de la réussite sociale et professionnelle et qui traînent derrière elles désillusions et ruptures amoureuses et familiales.

Marcella Serrano, en explorant les histoires particulières de chacune comme cas d’école, propose, par touches, des repères et des jalons pour essayer de comprendre à quoi cela nous mène, l’émancipation des femmes… A l’homosexualité comme repli ? Au désamour des hommes et à la peur panique qui les saisit lorsqu’il est question de s’engager ? A l’errance d’un pseudo amour à l’autre ? A l’investissement social ou professionnel qui confine au délire ?

Y aurait-il une recette qui puisse permettre à l’homme et à la femme de dépasser les rapports dominant/dominé, de se regarder « chastement » à la manière de l’amant de Lady Chatterley pour mieux se retrouver après ?

le livre trouve un happy end dans l’amour, il n’apporte pas de réponse à la question précédente mais il a au moins le mérite de poser le problème d’une autre forme de relation homme/femme, à l’aune des expériences de souffrance que vivent ces femmes tristes.

Pour acheter ce livre allez faire un tour à Dinan, à la Librairie Le Grenier Texto.

L'angle de vue littéraire de Marie-Anne (2)

"52" ou "la seconde vie" de Geneviève Brisac

" Refermer le dernier livre de Geneviève Brisac, c’est comme quitter une bonne copine à la fin d’une journée, une de ces journées qui font chaud au cœur tellement on a ri, bécasses que nous sommes de croire aux mêmes promesses depuis la nuit des temps, tellement on s’est apitoyé sur nous-mêmes, fustigeant parfois - pour se décharger du monde - mari, enfants, employeur, collègues et que sais-je encore, tellement on s’est égratigné le cœur de nos impuissances, tellement on s’est tu pour n’être plus qu’une page blanche...

Nouk, Carlotta, Mélissa ou Akka, les amies « littéraires » de Geneviève Brisac, deviennent vite nos copines et avec leurs souvenirs d’enfance (« La reine a fait un bouquet, une histoire d’Akka »), leurs soucis de boulot (« Si ton cerf-volant est cassé, garde la ficelle disait Zénon Elitys »), leur humour (« Dernières cigarettes, une histoire de Mélissa Scholtès »), leur souffrance ou leur impertinence, elles nous renvoient à notre propre vie, à nos espoirs, à nos échecs, à nos faiblesses et à nos victoires !

Maux et plaisirs avec les mots de notre quotidien, ils sont ramassés en 52 arrêts courts comme un souffle et intenses comme l’effort qui consiste à penser l’unique et le multiple à la fois, tout en chantonnant malgré la blessure."

A acheter en ligne ou, mieux encore,  chez notre libraire préféré Librairie Le Grenier à Dinan

Marie-Anne nous invite aussi à lire la chronique de Geneviève BRISAC dans le Monde : "La malle coloniale du mépris mysogine".

Enfin signez l'appel de "1 million de femmes s'énervent", contre le sexisme

 

 

 

 

Angle de vue littéraire de Marie-Anne (1)

Aujourd'hui s'ouvre la "rubrique Angle littéraire de Marie-Anne". Régulièrement elle nous présentera ses "Angles de vues" de lectrice...Invitation qui nous est faite de lire et partager nos réflexions et impressions de lecteur. "L'équilibre du monde"  s'inscrit dans la thématique centrale du salon du Livre 2007. Il fait aussi un peu écho au voyage de Anne et Jean Paul au KERALA. La "mal info" propose un outillage fort utile en ces temps de campagne médiatico - électorale.

L'EQUILIBRE DU MONDE de Rohinton Mistry

Quatre vies se croisent sur fond d’état d’urgence dans l’Inde d’Indira Gandhi : Dina, la veuve qui pour prix de son indépendance se lance dans la confection à domicile, Ishvar et Om, les deux tailleurs « dalits », chassés de leur campagne pour ne pas avoir respecté la loi des castes et Maneck, l’étudiant descendu de l’Himalaya. Pourtant, ils ne sont pas les héros de cette saga de 900 pages. Un peu comme nous serions tous, ce sont des gens du quotidien  autour desquels travaillent ou mendient, meurent ou font mourir, rient ou pleurent, flirtent avec le risque ou se recroquevillent, d’autres gens du quotidien. Le livre fourmille de détails et met en scène une telle diversité de situations dans des lieux et des temps si différents qu’il serait à classer dans les « livres-réalités » si l’appellation existait ! Cela nous change des livres minimalistes auxquels nous nous sommes habitués ! C’est un livre à lire de toute urgence : nous sommes envahis par une certaine idée de l’Inde, à travers toutes les manifestations qui font florès en ce moment. Ce livre ne peut que rétablir une image plus vraie de ce pays : un monde qui obéit à des lois complexes où chacun essaie de trouver son équilibre. Pour exemple, cette manif. du Parti Communiste croisée à Calcutta, il y a trente ans : « c’est la caste de ceux qui ne veulent pas de castes ! » avait expliqué un ami indien. C’est un livre qui parle aussi de ce que nous vivons ou plutôt de ce que nous vivons sans toujours savoir que nous le vivons. Les personnages ne sortent pas indemnes de la société d’état d’urgence dans laquelle ils vivent sans le savoir: ils sont la manifestation personnelle de cette réalité politique qui les atteint sans jamais se nommer comme telle. Rohinton Mistry se défend de faire de son livre une histoire politique : en éclairant ces quatre « petites » vies ordinaires, bien contentes de vivre tout simplement, il pose un acte politique en soi. « Ils sont des milliers et des milliers d’Ishvar et d’Om en Inde aujourd’hui, des gens qui poursuivent leur route implacablement malgré leur destin et voilà pourquoi j’y crois. » L’Équilibre du monde, A fine balance… un titre à méditer !

LA MAL INFO de Denis Muzet

Ami(e), quel(le) lecteur(trice) es-tu ? Quel télé-visionneur ? Quel internaute ? Celui ou celle décrit par D. Muzet dans son livre vaut son pesant d’informations ! Il ou elle voit le pays et même le monde comme un champ de ruines, ils patientent trois semaines avant de changer de crises, ils sont en vigilance et surveillent le chaos, zappant des petites lucarnes de la TV à celles de l’internet. C’est nous les boulimiques de l’info brèves…Vive le fast news ! C’est nous les rois du bricolage médiatique : je bidouille ma propre info, de quoi mettre les journalistes, les vrais, au chômage ! Cherchez à qui profite le crime ! Denis Muzet, avec l’Observatoire du Débat public et l’Institut Médiascopie, en a une petite idée ! Le livre-outil du militant décodeur de campagnes présidentielles, peu importe le parti ! Livre utile pour apprendre à gérer nos peurs ! Des recettes pour sortir de la « mal-info ».

Pour vous procurer ces livres nous vous recommandons la Librairie Le Grenier Texto à Dinan

Bon 8 mars ! De la part de Marie-Anne

Marie Anne a écrit à Joelle :

"La machine à laver ronronne, je viens de lâcher l’aspirateur et le linge qui traînait depuis huit jours a enfin trouvé son placard ou son cintre… Les mots du 8 mars vont enfin pouvoir sortir de ma tête, tournés et retournés qu’ils ont été pendant que mes bras s’activaient et que vrillaient dans mes oreilles les moteurs de l’économie domestique. C’est étrange cet imbroglio que nous faisons, nous les femmes, de nos tâches ménagères conjuguées si intimement à nos pensées et aux êtres qui nous sont chers. C’est peut-être cela qui fait notre richesse à nous autres, femmes, cette multiplicité qui nous envahit sans jamais nous dominer, ce capharnaüm de sensations et d’émotions, de rage et d’amour, ce flux de pensées contradictoires qui nous fait peser le pour et le contre avant de dire, ce tissage de sentiments qui nous noue les tripes, nous enveloppe et nous nourrit…. Au chemin unique de la pensée, osons être nous-mêmes et prenons le risque de vivre à plein notre complexité. Bon 8 mars !" Marie-Anne