Marie-Anne a beaucoup lu ces dernières vacances et ouvre une nouvelle série d'Angle de vue littéraires.
Fadhma Mansour Amrouche raconte sa vie avec ses mots, comme elle l’a promis à ses enfants, pour que se marquent à jamais les traces de sa vie de femme, de Kabile, de poétesse, d’épouse et de mère.
Elle est née en 1882 et les circonstances malheureuses de sa naissance – son père a refusé de la reconnaître – obligent sa mère à l’envoyer chez les sœurs catholiques où elle va apprendre à lire et à écrire en français. Un bien pour un mal car avec ces mots qu’elle a appris dans un environnement difficile, elle nous emmène sur son chemin de vie, avec une sincérité sans rancœur, avec une émotion des moments vécus toujours intacte et une rigueur étonnante.
A la fin du livre, les poèmes écrits à la mort de ses trois fils donnent envie de découvrir la poétesse qui avait choisi la Bretagne comme dernière demeure.
Me voici
Me voici maigre, mon teint s’est assombri,
Je suis la feuille jaunie qui se détache et tombe
Mes cheveux sont semblables à une toison blanche,
Mon sourire s’est flétri sur mes dents effondrées,
Et ma vue s’est tant obscurcie
Que je ne puis même distinguer une épine.
La mort de mes fils bien-aimés
A laissé mon cœur meurtri.Me voici debout comme une ombre,
Ma taille s’est inclinée,
Je suis comme l’inconnu qu’une balle a frappé.
La nuit, le jour, mes larmes coulent
Et ma peine sans fond est irrémédiable :
Ils tombèrent tous les trois en un an
Et sans que j’aie pu seulement les revoir,
Soleil, épouse ma tristesse, éloigne-toi.Mon cœur gémit, mon cœur pleure
Les yeux de l’aigle qui n’est plus :
Je ne me résignerai jamais.
Il m’a dit : « Mère, ne crains rien,
Tu peux me confier mes frères,
Auprès de chacun d’eux je te remplacerai,
Et je leur ouvrirai ma maison toute grande. »
J’ai pensé : « Le mal ne peut l’atteindre
Lui qui d’un jet a poussé
Comme un chêne dans la grande forêt ! »
Mais une tempête est survenue
Qui d’un coup l’a déraciné
Et l’a couché en plein exil.Je pleure, mes yeux n’ont pas de répit.
Soir et matin je pleure
Les enfants dont s’est retirée la vie :
Seghir, l’arbre de douceur
A la taille flexible ;
Saâdi, le petit oiseau
Qui sur les branches d’un pêcher
Chantait du matin à la nuit
Et Mohand, le lion
Qui a emmené ses frères.La tempête est arrivée
Et le tonnerre, les éclairs et le vent,
La tempête d’été
Qui les a tous les trois déracinés,
Tous les trois la même année.
Depuis la frayeur m’habite, je ne suis que tremblement :
Si j’ai un ami qu’il pleure !