Deux fois vingt quatre heures de voyages en une semaine sont toujours une excellente – et malheureusement trop rare- occasion de se plonger dans un roman. Comme souvent, c’est Joëlle ma meilleure conseillère en littérature - et en bien d'autres domaines - qui m’a ouvert sa bibliothèque et a glissé dans mon bagage « Baguettes chinoises », le roman de Xinran, auteure chinoise, publié aux éditions Philippe PICQUIER. Alors à mon tour, en attendant que Marie-Anne reprenne sa rubrique littéraire, de vous faire partager un très agréable moment de lecture.
Trois, cinq et six sont sœurs, dénommées selon leur ordre de naissance dans une famille de paysans chinois dont le père eut l’infortune de n’engendrer que « six baguettes et aucune poutre ». C’est parce qu’elle est profondément révoltée par cette façon de comparer les filles et les garçons que Xinran a écrit son roman « Baguettes chinoises ».
Trois a fuit la première son village de l’Anhui, pour échapper à un mariage forcé. Grâce à la complicité de « deuxième oncle » travailleur émigré sur les chantiers de construction, elle se retrouve à Nanquin, synthèse de la Chine urbaine d’aujourd’hui entre sa tradition impériale et l’hyper modernité. Petite paysanne naïve, illettrée Trois aurait pu s’y perdre. Elle s’y découvre grâce à l’accueil solidaire et chaleureux de Dame Tofu, des sages vieillards joueurs d’échecs qui officient sous le grand saule, et de Monsieur Guam, initiateur d’une sorte d’agence locale pour l’emploi, découvreur de compétences . C’est chez le frère de Monsieur Guam, restaurateur, que Trois va pouvoir exprimer son talent : elle n’a pas son pareil pour faire des compositions décoratives à base de fruits ou de légumes.
Revenue au village à la nouvel an, Trois convainc son père de laisser ses deux autres sœurs Cinq et Six venir travailler à Nanquin. Avec et autour des trois sœurs, Xinran nous fait découvrir des personnages sensibles, attachants, survivants d’une histoire dont on sent la marque douloureuse et en même temps entreprenants, positifs, ouverts au monde, dans une Chine étonnante et passionnante assez différente des clichés auxquels on s'est habitué
Les trois sœurs découvrent à Nanquin, un monde totalement nouveau pour elles, petite paysannes de l'Anhui : les buildings, le traffic automobile, les grands magasins et les personnages inanimés en devantures qui fascinent cinq ; les livres et les étrangers sources de la métamorphose de six… Jamais cependant elles n’oublient les enseignements de leur mère et les valeurs paysannes, ressources d’équilibre.
Le livre de Xinran est loin du pamphlet féministe. C’est la belle histoire, optimiste et sensible de trois filles à la candeur et à la volonté émouvante. Et qui s’achève sur l'hommage ému à leur mère et la prise de conscience du père : « serait-il possible que nos baguettes soient désormais capables de soutenir notre toit ! ». Trop belle histoire finirait-on par penser… Xinran aussi l’a sans doute pensé qui dans son épilogue apporte un léger correctif au "happy end" nous ramenant à une réalité moins romanesque… Il faudra encore beaucoup d’énergie aux baguettes, en Chine et l’on a envie de dire dans le monde, pour qu’elles ne soient plus soumises et mesurées à l’aune des poutres.
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