" J'essaye d'écrire de temps en temps, principalement sur des sujets d'actualité ou de politique internationale, mais je manque encore de rigueur pour le faire régulièrement". m'écris Erwann à qui j'ai proposé de publier ses "angles de vue". Voici un premier Billet où il nous présente son analyse de la situation en Afghanistan, en faisant preuve d'une grande connaissance historique et politique de son sujet. (vous pourrez lire d'autres articles sur son blog " pensées au vent").
Afghanistan,ou les bégaiements de l'histoire
La guerre en Afghanistan est largement passée au second plan depuis qu’a débuté celle d’Irak. Elle ne s’est pourtant pas arrêtée, loin de là. Depuis plusieurs mois les Talibans organisent des séries d’attaques dans le but de déstabiliser simultanément la coalition internationale et le gouvernement Afghan. Parallèlement une offensive de plus en plus importante est menée dans le sud-est du pays à partir de la zone tribale située au Pakistan voisin. Elle a pour conséquence le passage sous contrôle Taliban de plusieurs provinces de cette région. Dans les faits, la coalition et le gouvernement Afghan ne contrôlent réellement que les villes et en particulier Kaboul.
De nombreuses contre-attaques sont lancées par les Américains dans la zone frontalière Afghane, où est d’ailleurs censé se cacher Ousama Ben Laden, mais les succès sont plus que minimes. Dans les faits, la situation devient de plus en plus intenable dans un pays où le gouvernement est considéré comme une marionnette au service de la puissance occupante. Ce sentiment de plus en plus partagé par la population Afghane, toutes ethnies confondues, est l’une des principales forces des Talibans, qui deviennent ainsi le mouvement de résistance contre l’occupation américaine, comme l’étaient les Moudjahiddines lors de l’occupation Soviétique dans les années 80.
Il est d’ailleurs extrêmement intéressant de voir à quel point les deux périodes de guerre présentent des similitudes dans leur déroulement.
L’Afghanistan est un pays qui s’est construit sur la guerre. Au XIXème
siècle déjà il s’agissait d’une zone tampon entre l’Empire Russe au
nord et l’Empire Britannique au sud. Le premier souhaitait s’ouvrir une
entrée vers le sud et atteindre l’Océan Indien, ce que souhaitait
empêcher le second à tout prix, pour ne pas perdre la mainmise qu’il
avait sur cette région du monde. Les frontières de l’Afghanistan furent
tracées à travers des négociations entre Britanniques et Russes, sans
tenir compte des Afghans, constituant pourtant un Etat monarchique très
structuré. Par la suite, l’Afghanistan deviendra allié des Anglais,
sachant qu’il craignait moins de ces derniers que des visées Russes.
Malgré tout, le XIXème siècle est marqué par deux invasions
anglaises qui se termineront dans les deux cas par de vrais désastres
militaires pour la plus grande armée du monde. Cela restera une vraie
humiliation dans l’esprit des Britanniques qui développeront des
théories racistes à l’égard des Afghans, dans le plus pur style du
XIXème.
Dans la deuxième moitié du XXème siècle, ce dernier était passé à
un régime Républicain. Pendant plusieurs années se sont succédées des
périodes de tentatives de réformes et de régressions, jusqu’en 1978 et
un putsch mené par les communistes afghans, seule force politique
suffisamment structurée, à l’encontre de Mohammed Daoud. Mais cela créa
une certaine instabilité politique du fait de l’existence de deux
partis d’orientation communiste se disputant le pouvoir. Ces deux
partis étaient dirigés par Taraki et Amin, qui se livraient à une lutte
de pouvoir jusqu’à la mort de Taraki en 1979, suivie de près par celle
d’Amin en décembre 1979 quelques jours avant l’intervention soviétique.
Il semblerait d’ailleurs que ce soit à la demande d’Amin que ceux-ci
soient entrés en Afghanistan.
Dès cet instant, les Soviétiques mirent au pouvoir un certain
Barbak Karmal, avocat qui s’était réfugié quelques années plus tôt en
URSS, devenant ainsi le garant de la volonté afghane d’une présence
militaire soviétique dans le pays. Dans un premier temps et malgré
l’envoi de dizaines de milliers d’hommes, ils laissèrent l’armée
afghane s’occuper de la sécurité du pays, ainsi que de la lutte contre
les premiers mouvements Moudjahiddines qui se créèrent, ne fournissant
qu’un appui logistique et aérien aux offensives de l’armée afghane dans
les montagnes du sud-est du pays. Mais très vite ce mouvement prit de
l’ampleur et il se structura relativement. Partis des villages de
campagne de la zone Pachtoune (au sud-est et à l’est donc) il fit peu à
peu tache d’huile dans le reste du pays, aidé en cela par les pays
musulmans (Iran de Khomeiny, pays du Golfe) ainsi que par les
Etats-Unis, fidèles à leur stratégie de « containment » envers le
Communisme.
Rapidement les moyens furent donnés en Arabie Saoudite pour la
création d’une légion Arabe qui irait prêter main-forte contre l’«
agression Soviétique contre le monde Musulman ». le financement en fut
en partie assuré par les Etats-Unis, mais devant le tergiversations des
Saoudiens, un jeune homme du pays décida de prendre les choses en main
et de commencer à former cette légion : Oussama Ben Laden. Il partit en
Afghanistan avec quelques citoyens d’autres pays musulmans (Egypte,
Algérie, Syrie et Arabie Saoudite donc) et utilisa son immense fortune
et ses moyens issus d’une entreprise de BTP dans la construction
d’abris et de voies de communications au service des Moudjahiddines,
mais aussi dans l’entraînement et l’armement de la légion Arabe, avec
la bénédiction de son pays mais aussi des Américains qui lui fournirent
armes et aide financière.
Au fur et à mesure les Soviétiques furent forcés de s’impliquer
directement dans la guerre qui se développait, l’armée Afghane étant
incapable de lutter contre les mouvements de rébellion. Mais l’Armée
Rouge ne viendra pas à bout de la résistance ne contrôlant au mieux que
les villes, se faisant prendre sans arrêt dans des guets-apens sur les
routes. La guerre d’Afghanistan, menée en tant qu’une des dernières
chances de survie d’un empire Soviétique déjà mal en point, sera en
fait l’élément déclanchant de se chute.
Lorsque l’Armée Rouge se retira les Américains cessèrent toute aide
aux Afghans ainsi qu’aux Arabes présent en Afghanistan, et laissèrent
le pays s’enfoncer dans une guerre civile entre les différentes
factions des Moudjahiddines. Cette guerre continuera jusqu’à
l’émergence des Talibans qui dans le milieu des années 90 pacifièrent
90% du pays en battant tous les chefs de guerre, à l’exception de ceux
du Nord-Est. Dès lors, les Talibans sont maîtres du pays, commencent à
créer des relations diplomatiques et commerciales avec les Etats-Unis.
Cela aurait certainement pu continuer s’ils n’avaient pas accepté le
retour de Ben Laden dans leur pays suite à son « expulsion » du Soudan
en 1996.
En 2001, lorsque les Américains décident d’intervenir en
Afghanistan à la suite des attentats du 11 septembre ils utilisent ces
chefs de guerre du Nord-Est qui résistent toujours aux Talibans pour
mener leur offensive terrestre, leur donnant d’énormes moyens
logistiques et un support aérien international très important. En
quelques semaines l’Alliance du Nord conquiert tout le pays, mais perd
dans la guerre son leader charismatique, Massoud, tué dans un attentat.
Lorsque Kaboul est « libérée » les américains mettent en place un
gouvernement dont ils confient la présidence à Hamid Karzai, homme
d’affaire et politicien réfugié aux Etats-Unis depuis plusieurs années.
Dans un premier temps chargé est donnée à la nouvelle armée Afghane
d’assurer la sécurité dans tout le pays, les troupes de la coalition
n’étant présent qu’en soutien dans les grandes villes (Kaboul,
Jalalabad, Mazar-i-Sharif, Herat, Kandahar). Mais celle-ci ne
réussissant pas à faire face au retour des Talibans dans tout l’est du
pays (en particulier dans le sud-est donc), la coalition est dans
l’obligation de prendre part aux affrontements, au sol et en soutien
aérien.
Les mêmes causes ont forcément les mêmes effets. Comme les
Soviétiques, la Coalition tente de lutter contre un mouvement de
rébellion qui bénéficie d’un large soutien dans la population locale,
principalement parce que les Talibans sont issus de cette population,
qu’ils défendent les valeurs de la majorité rurale des afghans, de tous
ceux qui ne vivent pas à Kaboul même. Ils utilisent également les mêmes
moyens, basés sur la collaboration d’une partie de la population
citadine et sur une répression sanglante et sans grand discernement à
l’encontre des populations rurales dont les villages sont la cible de
bombardements, comme lors de l’occupation Soviétique. Enfin les
Américains ont préféré faire appel à des hommes extérieurs à
l’Afghanistan pour reconstruire le pays, comme les Soviétiques en 1979,
avec pour conséquence que les dirigeants sont considérés comme les
marionnettes des forces d’occupation, et ne bénéficient pas, du même
coup, du soutien de la population. La tentative d’attentat contre Hamid
Karzai il y a quelques semaines en est l’exemple le plus flagrant.
Que peut-on attendre pour la suite en Afghanistan ? pas
grand-chose. Un certain nombre d’experts militaires pensent que la
guerre est déjà perdue, car mal menée, mal préparée. Il est certain
qu’il aurait été plus intelligent d’étudier les raisons de la défaite
Soviétique 15ans plus tôt, malheureusement cette analyse était
impossible de la part des Américains aveuglés d’un côté par une volonté
de vengeance suite au 11septembre, de l’autre pour des raisons
idéologiques, les Américains étant certains d’être responsables de la
chute de l’URSS et donc indirectement de sa défaite, en l’ayant poussé
dans une coûteuse course aux armements sous Reagan.
Dans les prochaines années il y a fort à parier que les troupes
occidentales basées en Afghanistan se replieront après une série de
revers, avec pour conséquence le retour au pouvoir des Talibans.
L’Afghanistan a tenu en échec deux des plus puissants Empires de
l’Histoire, il est en passe d’en faire autant avec la seule
Superpuissance actuelle.
Erwann LUCAS