Cette jolie boutique rétro découverte cet après-midi, rue de l'Apport à Dinan me rappelle que j'ai grandi dans un pressing, plus exactement dans une teinturerie, c'est ainsi qu'on les appelait dans les années 50.
Dès que j'ai su marcher (dans l'atelier de mes grands parents) et durant toute mon adolescence, (dans l'atelier/magasin de mes parents) j'ai vécu dans cet univers mi-atelier, mi-commerce, aux odeurs lourdes et enivrantes de vapeur et de benzine (ou de perchloritylène...) ; jouant souvent, traînant par là, parfois donnant le coup de main ou travaillant en job de vacances.
J'éprouvais du plaisir au milieu de l'imposante et sifflante chaudière, de la moderne "machine à sec", des presses, des coqs, des mannequins à vapeur, des tables aspirantes, dans les labyrinthes de penderies, derrière ou sous le comptoir de la boutique. J'aimais la fréquentation des employées et elles me le rendaient bien. J'étais pas peu fier d'être le petits fils ou le fils de la maison...
Il m'est arrivé parfois, furtivement, sans en parler, d'envisager de reprendre l'activité, en modernisant le concept bien sûr ! De faire un pressing de luxe avec services associés : déplorant que mes parents (aprés mes grands parents) tirassent le diable par la queue, j'imaginais qu'il valait mieux pour faire fortune, nettoyer les fringues de riches que celles du tout venant. Hélas ni mon père ni ma mère n'avaient le sens du luxe. D'ailleurs c'était une idée stupide : pour gagner de l'argent dans ce métier il vaut mieux faire de la masse.
Je ne serai donc jamais entrepreneur de pressing, mais j'éprouve une vrais tendresse pour ces rares professionnels à l'activité ingrate et mystérieuse qui font encore le métier en artisan.
Il me semble avoir tiré tiré de cette longue fréquentation de l'univers du pressing deux précieux enseignements qui finalement ont impacté ma vie professionnelle et sociale
J'ai observé avec une grande curiosité et appris très concrètement comment un métier, une profession peut vivre en moins de 40 ans trois transformations profondes qui ont bouleversé la vie des hommes et des entreprises concernés. Pour moi l'histoire part de l'antique atelier artisanal de teinturerie, dégraissage, repassage de mes grands parents - là où mon père et ma mère ont fait leur apprentissage - et aboutit aux actuels pressing de super marchés en franchise, très automatisés, en passant dans les années 60, par l'ère des grands ateliers industriels qui pouvaient employer plus de 100 ouvriers et dont les camions déservaient des centaines de magasins dépots, à trois cents kilomètres à la ronde. Mon père s'était reclassé comme contremaître dans une de ces usines, avant de reprendre avec ma mère, une gérance de pressing de ville. A chacune de ces époques la profession est marquée par une restructuration technologique, économique et sociale profonde. Pour mes parents et toute leur famille cela provoque des ruptures soudaines, des déracinements réels, mais toujours positivés et pour tout dire utiles.
J'ai aussi observé, ressenti, apprécié un univers de travail où les femmes (grand mère, mère, tantes, employées jeunes ou d'âge mûr, clientes) étaient nombreuses et régnaient en maître, imprimant leur manière d'être, imprégnant les codes relationnels. L'homme pouvait être patron en titre, technicien reconnu et fortement sollicité, mais jamais dominant. Je puise dans ce terreau certainement plus qu'un savoir être, une seconde nature.
Dernière minute :
(Je viens de trouver sur le web un intéressant témoignage d'un autre petit fils et fils de teinturier où l'on voit des photos de la "benzinerie" , de la teinturerie, de l'atelier de repassage qui ressemblent de manière troublante à l'atelier de mes grands parents).